Perles de lecture #3

 

"Des balles et de l'opium" précédé de "Le grand massacre"

Liao Yiwu

 




J'ai reçu ce très beau livre en cadeau de départ, de la part d'un ami s'en allant s'exiler loin de sa famille et de ses amis (très vite pardonné par le projet qui l’honore).
Et ayant une P.A.L (Pile à Lire) assez conséquentes de livres achetés, reçus en cadeau ou prêtés par des amis (cette P.A.L servira bientôt de colonne de soutènement au milieu du salon).
J'ai commencé à parcourir entre deux lectures, les premières pages de ce livre. Je ne connaissais pas l'auteur et son histoire extraordinaire. Un poème en prose, tiré des "Poèmes de prison" que Liao Yiwu écrivit en détention, ouvre le récit sur la révolte de Tian'anmen. Il fut contraint de s'exiler en Allemagne où il continua son enquête sur le massacre en interrogeant les survivants de la manifestation. En consignant ses recherches il gardera la mémoire de cette répression et de l'horreur du régime chinois qui s'abattit sur son peuple et la jeunesse du pays.
Liao Yiwu est devenu l'une des voix les plus importante des opposants au régime chinois.


                                                 


Je m'attarderai dans cette perle de lecture #3 sur le poème "Le grand massacre".
Le poème concentre plusieurs aspects d'une valeur considérable.

Tout d'abord la valeur historique qui accroche dès le premier vers :

"Le grand massacre commence par le cœur de Pékin"

"La ville vient d'être fermée, puis bloquée, et enfin assiégée."

Puis la description du massacre, malgré l'horreur ce long poème en prose est d'un lyrisme d'une beauté inestimable :

"Tes pleurs t'abandonnent, entrent dans les plantes,
 dans tous les organismes invisibles
 ou minuscules
 pour s'épanouir en fleurs blanches et, année après 
 année commémorer le funèbre anniversaire"

Le poème est construit en vers longs, puis courts et prend aussi la forme d'un texte.
Une construction anarchique qui sublime la révolte des mots qui nous piquent et nous révoltent :

"Tirez ! Tirez ! sur les personnes âgées, les enfants, sur les femmes ! 
  Sur les étudiants, sur les ouvriers, sur les enseignants, sur les commerçants ! Mitraillez ! 
 Mitraillez ! Visez chacun des visages en colère, les visages surpris, les visages fourbes, les visages riants misérablement, les visages pacifiques ou désespérés, Mitraillez ! à tout prix, mitraillez !" 

 Le poème est parcouru de nombreuses figures de styles qui amplifient l'horreur et le désespoir :

L'anaphore dans ce passage :

"De la part de la patrie : massacrer le code des lois ! 
 De la part de la loi : massacrer la justice ! 
 De la part de chaque mère : étouffer les enfants !
 De la part des enfants : violer tous les pères !
 De la part des femmes : tuer les maris !
 De la part du citadin : bombarder les villes !"

La gradation ici :

"Sauter, crier ! voler ! Courez ! Tu ne peux pas traverser les nombreux murs enflammés, tu ne peux pas traverser le lac de sang."

Ou encore la répétition pour renforcer l'émotion :

" Tirez ! Tirez ! ...  
   Mitraillez ! Mitraillez ! ... 
   Massacrez ! Massacrez !... "


Un long supplice qui se termine sur une atroce fatalité, lourde de sens (notez la mise en exergue - uniquement ceux-là - si fort en colère et mépris contre les bourreaux) :

"Dans cette époque ne ressemblant à aucune autre
  d'avant ce temps
  seuls les fils de chiens - uniquement ceux-là - peuvent vivre." 

                                                  

                                                     
Cher ami,
Merci pour cette découverte, un poème indispensable, une lecture inspirée.
Car retranscrites d'une manière aussi poétique toutes les horreurs de ce monde semblent surmontables par la seule force des peuples unis. Nous nous rêvons à surpasser les barrières liberticides en hommage aux peuples du monde sacrifiés pour une liberté rêvée au-delà des frontières et des continents.