Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier - Patrick Modiano


                    "L’éternel arbre garde sa fêlure à jamais,

                      Le mortel ne reste que le temps d'un souvenir."*



                                              


Malgré le titre, on finit quand même par se perdre.
 Pas à cause de l'histoire ou par ennui ou autre maladresse du texte. Mais dans les souvenirs d'un écrivain solitaire Jean Daragane.
Jean est aussi énigmatique que l'enquête qui se trame. Une enquête qui va le rattraper lorsqu'un jour il reçoit un coup de fil d'un homme mystérieux Gilles Ottolini qui souhaiterait le rencontrer afin de lui remettre son carnet d'adresses qu'il avait perdu un mois plus tôt.

"Il avait souvent rêvé, au creux de certains après-midi de solitude, que le téléphone sonnerait et qu'une voix douce lui donnerait rendez-vous."


Mais cette voix n'était pas si douce et même plutôt menaçante. Gilles Ottolini, accompagné d'une fille plus jeune, Chantal Grippay, voulaient obtenir des renseignements sur "Guy Torstel' un nom qui figurait dans son carnet. Ce nom selon  Gilles l'aiderait à élucider un ancien fait divers.
Jean était incapable de se souvenir de la personne à qui ce nom se raccrochait.
Le récit prend alors, une tournure énigmatique. Une énigme qui ne se dévoile pas, dans un premier temps. Le lecteur suit les personnages de loin sans réellement participer vraiment.
Un détachement à la façon d'un sustain permanent.
Un homme inquiétant qui dilapide son argent dans les casinos, qui force une jeune fille à participer à des soirées spéciales contre rémunération.

 "C'est un couple qui organise des soirées d'un genre spécial dans leur appartement... Gilles veut que j'y aille... Ils me paient... Je ne peux pas faire autrement."

Un écrivain amnésique qui malgré lui, enquête sur sa propre vie.

  "Les souvenirs d'enfance sont souvent des petits détails qui se détachent du néant."

Le narrateur nous guide dans l'univers d'un écrivain nostalgique qui se rassure en observant un arbre ou en errant dans les quartiers de Paris.

"Votre regard s'arrête sur un brin d'herbe, un arbre, les pétales d'une fleur, comme si vous vous accrochiez à une bouée."

Dans un second temps l'énigme ne se dévoilera pas plus. Le Lecteur n'en est pas frustré pour autant. Des bribes sont lâchées au compte goutte des lieux et des personnes d'une autre époque et cette attente se fait plus pressante pour le lecteur. Le suspens est bien entretenue mais pas à la façon d'un polar explosif. Lentement comme une balade, nous cueillons ici et là des indices dans l'attente du dénouement, comme Jean Daragane lui-même en lisant le dossier de l'enquête.

"Les quelques pages qu'il venait de lire n'était qu'un brouillon maladroit, une accumulation de détails qui cachaient l"essentiel."

Cet essentiel finalement, sera t-il clarifié ? Ou peut-être réside-t-il ailleurs ?

Dans des souvenirs cachés.
Tout ne se résout pas mais est-il possible de décrypter une vie ?

"Et il vous faut un peu de temps encore pour vous rendre compte qu'il ne reste plus que vous dans la maison."



 Patrick Modiano - Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier
 (Gallimard - 2014)


*Al Séraphe - "Fatalité"